Pour Anton Seder, ancien directeur de l’Ecole des Arts Décoratifs de Strasbourg, devenue partie prenante de la HEAR-Haute école des arts du Rhin en 2011, l’atelier de travail des étudiants se prolongeait naturellement au jardin. Ce postulat de l’importance de l’écrin extérieur de l’école, dès l’origine, a fondé l’exposition Jardin public, en place jusqu’au 23 mai, rue de l’Académie.
Le jardin sera d’ailleurs réhabilité dans le projet de reconversion architecturale et urbaine de la Manufacture des tabacs toute proche. Un premier jeu consiste à identifier les variétés de plantes apparaissant dans les dessins en céramiques de la façade. Les propositions des artistes font, pour certains, référence au jardin botanique d’origine et alimentent naturellement les correspondances.
Montée rapidement avec des artistes issus du territoire, dont quatre professeurs de l’école, l’exposition a permis de sortir les oeuvres du placard, voire d’en créer certaines pour l’occasion et d’offrir l’écrin du jardin.
Toutes les générations se croisent, entre 1994 et 1948. Différentes esthétiques aussi.
Ilana Isehayek, canadienne, a installé des drapeaux en façade de l’école, qui expriment quasiment un statement pour l’exposition: Seeing beyond the visible/ Voir au-delà du visible!
Dès la maison du gardien, les limaces bleues hermaphrodites d’Aurélien Finance s’insèrent naturellement dans le jardin. Cousues à la main, elles attirent l’oeil et envahissent les arbres, emmenant le visiteur d’un espace à l’autre.
Un trompe-l’œil plus discret se découvre dans la cabane à livres avec le collectif Pétrole Editions. Plus loin, à l’ombre des feuillages, Samuel François prend possession du jardin en dispersant diverses interprétations de chaises. La chaise est donnée comme un motif à explorer, d’autant que l’artiste n’avait jamais exposé dans un jardin. L’exposition sert de test de réaction à un environnement.
Devant le bassin, Etienne Hubert, qui a étudié à l’école Boulle, à l’atelier bois, a volé des bancs dans l’espace public pour les ornementer, en vue de les magnifier, puis il les rapportera dans l’espace public. Accrochées en hauteur à un arbre, les petites mains de métal de Clara Denidet, tels des ex voto, donnent un caractère sacré au lieu.
Jouant avec les matières, Pierre-Louis Peny a posé son bolide, une météorite à laquelle il a jouté, en guise d’humour distancié, une clé! La tension entre la vitesse de la météorite et l’hyper inertie de la pierre saisissent le regard. Autre pièce bien ancrée dans le sol, L’étoile du matin, de Vincent Chevillon, dont le contraste entre l’arme de guerre, à partir d’un matériau banal, devient magique.
A propos de magie, l’oeuvre-valise de Konrad Loder, ne laisse rien voir de son intérieur une fois fermée en un rectangle opaque de zinc. Mais une fois dépliée, cette boite-valise ne dévoile rien dedans, tout en devenant une sculpture modulable et sobre, une architecture portable.
Au centre de l’univers du jardin, une oeuvre autour de laquelle les autres rayonnent, de Joseph Kieffer. Les pièces de phares assemblées, de deux couleurs (rouge et blanc) selon qu’on est de part et d’autre de l’autoroute, se meuvent, comme un lustre immense et souple, tout en transparence.
Sylvain Chartier est récemment passé à l’acier, pour une commande de l’entreprise Wurth, de onze pièces réalisées en grand format et en couleur. Ici il présente une contraction de labyrinthe, une famille entrelacée et abstraite, qu’on découvre en tournant autour. L’artiste rappelle que l’atelier métal est un des quatre ateliers historiques de l’école. Positionné sous une céramique de la façade évoquant la géométrie, sa sculpture s’insère naturellement à proximité de l’école. Tout comme le canard de Patrick Lang, qui s’apprête semble-t-il à entrer suivre un cours!
Noyée dans l’ail des ours, une céramique représentant un âne éventré de taille quasi normale, renvoie à un conte pour enfants très effrayant. Gretel Weyer fait allusion à un goûter d’anniversaire mexicain, qui se termine par une pinata. Mais ici l’animal semble en décomposition, quoi qu’elle fasse ressortir quantité de bonbons de couleur.
Qui dit jardin, dit eau: celle du bassin, investi par Skander Zouaoui, et ses céramiques de fruits exotiques, tantôt luxuriants de couleurs, tantôt brûlés par la chaleur. Ce petit théâtre d’eau, toujours animé, fait écho à l’intervention de Marianne Mispelaëre. Celle-ci invite une étudiante à aller chercher de l’eau dans le Rhin pour arroser les plantes du Monument aux morts de 1870. Cette oeuvre bienveillante vis-à-vis d’un monument austère et dur achève la promenade culturelle et apaisante.