Un premier film coup de poing
Le premier long-métrage de Laura Wandel nous touche immédiatement. Dans Un monde, elle place sa caméra à hauteur d’enfant, pendant tout le film, et déstabilise ainsi notre regard et désoriente notre perception sonore.
Son héroïne, Nora,fait ses premiers pas au CP. Il s’avère que la séparation d’avec le parent responsable, le père, est bien plus difficile que ce qu’elle avait imaginé. Malgré la présence à ses côtés de son frère, légèrement plus âgé.
Le film s’attache à nous faire percevoir comment le processus d’intégration au sein d’une communauté se joue, non pas, ou pas seulement, dans le cadre du temps scolaire à proprement parler (les heures de classe), mais bien plutôt dans la cour de l’école et à la cantine.
Comprendre l’injustice
Nora arrive avec ses certitudes, bâties à la maison, et qu’elle va devoir confronter au regard des autres. Face au harcèlement que subit son frère, et qu’elle ne comprend pas, elle va chercher à le défendre. Mais elle va devoir affronter alors les conflits de loyauté avec son père (lui rendre compte), son frère (ne rien dire ni dans ni hors de l’école), ou ses amies (choisir les filles contre les garçons, les amies contre les liens familiaux). Ainsi vont peser sur ses épaules beaucoup de responsabilités, inattendues, et pour lesquelles elle n’est pas armée.
Comment survivre dans un petit monde agressif, aux frontières floues et mouvantes? La survie dans cet univers complexe ne correspond pas forcément aux représentations qu’elle s’était imaginée de prime abord. Elle va développer une attention aigüe aux signaux de toute nature que lui envoie cet univers, des mécanismes de défense voire un silence obstiné en dernier recours. La peur peu à peu prend le dessus et elle en vient à rejeter son frère adoré, pour tenter de se protéger. Celui-ci balance entre soulagement devant ce début d’éloignement et tristesse devant une situation qui contrarie ses élans naturels.
La violence et ses divers visages
La violence à l’école se manifeste de bien des manières. Le harcèlement scolaire paraît tellement facile à se développer et si compliqué à faire cesser. Les adultes tardent à réagir, débordés par des urgences compréhensibles. Toute société témoigne d’ailleurs du caractère inéluctable de la figure du bouc émissaire. Dans ce cas, l’enfant harcelé devient harceleur, mais cela ne constitue évidemment pas une solution ni durable, ni souhaitable. Cette extrémité à laquelle le petit garçon est poussé atteste de son désespoir.
La violence s’inscrit également géographiquement: le terrain de foot monopolise la plus grande partie de la cour. Et si par mégarde, les enfants non concernés par le match en cours font irruption sur le terrain, ils peuvent devenir des victimes sans que les joueurs ne se sentent une quelconque responsabilité! Les règles tacites transparaissent également dans le discours des enfants. Les découvrir prend du temps…
Une perception du monde transformée
Les enfants répètent à l’envi le discours des parents, qui stigmatisent le chômeur: les hommes doivent être au travail, sinon ils sont forcément paresseux. Or le père de Nora, un homme de son temps, revendique le métier de père au foyer. Mais le regard de sa fille sur sa position assumée va évoluer sous la pression de ses camarades.
C’est ainsi que l’héroïne va apprendre à se détacher de tous les repères qui ont jalonné sa petite enfance: la place des parents, l’amour filial et fraternel, la joie du jeu, la satisfaction des désirs immédiats… Dès lors que la pression augmente et les rapports humains se tendent, même la dégustation d’une glace ne suscite plus sa gourmandise.
Mais en l’espace de quelques mois, la fillette aura grandi, perçu les règles du jeu et se sera pour partie adaptée à cet univers. Le défi que pose le film se joue dans la capacité que les adultes, et en particulier les encadrants scolaires (instituteurs, infirmières et autres personnels de cantine), auront vis-à-vis des enfants plus faibles à détecter le mal-être, et à accompagner les efforts pour surmonter les difficultés d’intégration à l’oeuvre.
On sort de la salle ému et confiant dans la nature humaine, tout en se demandant si la fragilité des situations et le basculement dans l’irréversible ne guette pas chaque cour d’école.