La matière au centre de la démarche artistique

Pierre-Louis Peny, Martyr, 2020

Enrichie par mes échanges avec les artistes, toujours en veille sur la création, j’ai la chance cet été de questionner Pierre-Louis Peny, artiste plasticien, à Strasbourg.

Ma rencontre avec Pierre-Louis Peny dans son atelier, au Bastion XIV, ancienne friche SNCF reconvertie en ateliers d’artistes par la ville, se place d’emblée sous le signe de la matière. Ses recherches formelles concernent aussi bien la pierre que le métal, le verre que …les champignons !

Petit tour d’horizon grâce à différentes pièces encore présentes sur les lieux.

La série Turbo, créée fin 2019, traduit son intérêt pour les concepts opposés que sont le plein et le vide. La récolte des objets donne la matière première d’une histoire préalable. L’artiste s’intéresse à la part laissée au vide et s’efforce de retrouver une logique.

Pierre-Louis Peny, série Turbo, 2019

L’œuvre se lit comme un jeu, qui suppose une logique d’assemblage. Des pierres sont percées par des forets et les tubes de métal qui emplissent les vides laissés recréent un paysage. Le titre fait un clin d’œil au pot d’échappement. La vitesse laisse place ici à une immobilité forcée, au poids de la gravité.

Début 2020, il déroule l’écorce d’un agrume, qui lui évoque une mise à plat de la sphère terrestre. L’expérience reproduite en métal s’appellera Ecorcé. Les contours sont laissés dentelés par la chaleur de la fonte.

En 2020 toujours, il déconstruit une chaise trouvée devant l’atelier, pour découvrir par lui-même ses propriétés. Il utilise les éléments de l’atelier, comme du contreplaqué, pour rappeler l’assise de la chaise, devenue son propre sujet et matériau, mais également l’encre bleue utilisée en graphisme pour préparer le dessin. Il récupère, désassemble et réorganise.

 

Le passé et l’environnement quotidien ennoblis

Un peu plus loin, une planche martyr, qui se sacrifie pour les autres, se voit redonner une forme, car elle a été retendue comme sur un châssis. L’artiste fait ensuite ressurgir, à l’enduit de rebouchage, toutes les scarifications subies, par les perceuses ou scies. Le tracé involontaire obtenu avec les moyens du bricoleur la remet en valeur.

Pierre-Louis Peny, MM (Memento mori)

Des objets complexes du quotidien donnent également lieu à une sculpture noble, MM (Memento mori). L’ordinateur de Pierre-Louis Peny a rendu l’âme. L’artiste n’arrivait pas à jeter cet outil précieux. Il l’a désossé et déposé sur un châssis. Cette pièce anachronique devient dès lors inerte, comme une stèle funéraire dédiée à cet objet symbole de notre société technologique.

P-L. P. a développé un intérêt pour la cartographie marine, qui ressemble à un réseau abstrait occupant le vide de la mer. Il en est de même pour les cartes stellaires. La sculpture qui porte le titre de Conquête spatiale présente des tracés assemblés par des points de soudure. Ces espaces flottants, fixés par des aimants, sont flexibles, quelle que soit la position. Le métal est utilisé pour ses propriétés : la chaleur de la soudure ne dissimule rien et crée un objet indéterminé.

 

Des pistes de développement surprenantes

Enfin, son travail avec les champignons provient de ses recherches menées depuis des années avec la pierre. En 2017, il dévoile un travail sur le parking du Musée d’Art Moderne et Contemporain de Strasbourg, dans les mêmes conditions que dans certaines carrières. Sa démarche avec les pierres, et notamment les marbres de Carrare, joue des propriétés du matériau, et questionne le temps, le moment, la ruine.

Ici , il s’agit de s’adapter à un contexte urbain. Une voiture devient une cave à champignons vivants. L’artiste leur permet de se développer, de matérialiser une dégradation dans le temps (leur forme évolue). Ce travail présente certes une forme plastique, mais c’est aussi un travail de jardinier, qui tient compte du processus naturel d’entropie (la complexification des choses avec le temps).

Pierre-Louis Peny, Mullca, 2020

Par la suite, une exposition collective en 2021, près d’Ornans, l’amène à découvrir une nouvelle manière de travailler le champignon. A partir de dessins d’architecture, il recherche une forme globale et ample, à l’échelle d’un bâtiment. Une fois taillé, le champignon aboutit à un matériau sculptural. Incrustés dans des moules à balustres par exemple, les champignons deviennent des installations, en laissant la place à des colonnes de champignons vivantes. La question de l’ornement en architecture peut ainsi être abordée par le motif émanant du champignon, qui habille la forme grâce à la décrépitude, un phénomène vivant.

Ces expériences sont revendiquées comme telles. L’artiste ne nie pas le côté amateur ; il développe ses propres recettes et joue avec la disposition des moules. L’étape suivante lui permettra de se confronter à d’autres échelles, en se rendant à l’extérieur.